Les animaux les plus comiques sont les plus sérieux ; ainsi les singes et les perroquets.

Charles Baudelaire, De l'essence du rire, Le Portefeuille, 1855.

lundi 11 avril 2011

Renards sensuels et crevards en fuite

Le petit Fred bossait comme vendeur maintenant. Il avait grandi ! Mais toujours sa bouille adorable, et cette taille souple qui filait entre les doigts, quand l’envie trop forte prenait de la serrer, l’anguille, contre son cœur. Ni une ni deux, Doze l’entraine.
 T’as monté en graine, petit salaud. Mais tu me plais toujours et plus que jamais, tu sais ça ? 
Et, lentement, il lui glisse une main et se laisse mater les tatouages, renifler les aisselles par un petit Fred devenu tout fou de se retrouver ainsi entre les bras de son idole. Petit Fred de la Grande Borgne lui aussi, que Doze initia. Le Petit Fred lui aussi complètement insoupçonné dans cette cité où pourtant tout, absolument tout se savait. Tendresse si chaude qu'il se serre encore un peu plus contre Doze qui  l'embrasse  à pleine bouche, derrière le rideau de la cabine.
  Petite vache, lui dit-il. Pourriture. Merdeuse.
Tiens, soupire Petit Fred surjouant à son tour, je sais bien que t’en pinces plus que pour David.
Ils se marrent en sourdine de leur numéro.
Tais-toi. Ferme donc ta petite gueule. Petite salope. Tu sais pas de quoi tu parles.
― N’empêche, tu m’as bien manqué.
 Ca me fait plaisir d’entendre ça. Montre un peu voir comme je t’ai manqué. C’est ça, comme ça. 
Soudain Petit Fred met fin à leur ironique oaristys, il tire prudemment le rideau vert-nil de la cabine en forme d’U et tous deux s’engouffrent dans l’obscurité qu’ils fouissent, ils se baissent mains à tatons, se recroquevillent, frôleurs, odeur de placard oublié, cherchent dans le noir leurs regards s’accrochent, nez fureteurs, poussière encens, anxieux soudain, dans la pénombre lustrale la voix enrouée d’une vendeuse qui s’éloigne à pas feutrés sous leurs gélasmes, les yeux grands ouverts font silence frelon, renards sensuels qui s’effleurent, murmures cotonneux, marasquin des langues nouées, haleine d’agrume, une veste cafetan sur le cintre qui tombe, chatouilles puis ils se pincent, ondulent, frétillent, chahutent à plat ventre, poissons farceurs, butinent aux aisselles rugueuses, rient, étrillent, s’agrippent, se déchaînent souffles coupés  à califourchon, ce sont alors aux frocs de méchantes prises qui font mal, à corps perdu, paumes moites, roulades, orvets qui glissent entre les doigts, tiédeur suffoquée dans la nuque aduste, leurs silhouettes dans la demi-pénombre bleutée de la cachette, ils palpent, en boule, genoux droit qui s’enfonce dans la chair molle de la gorge, de la tête idiote et mafflue, griffent, serrent, mains crispées sur la pomme d’adam, dans le gras des joues, langue fendue, reniflements, l’un savate et  ceinture, sons chevrotants, l’autre empoigne l’ergot tuméfié, inflige un shampoing, la pulpe des doigts sous les ongles en deuil une odeur de résine et de tanin, jasmin le velours de la moquette râpeuse où s’écorche la joue et meurent les cris sans voix, les crissements, griffée la peau brune et molletonée de son dos, enfin l’apaisement des corps hachés de syncope.

Chbebs !, chapitre VII, p.33.

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